En droit français, il n’est pas possible de déshériter complètement ses enfants (on parle de réserve héréditaire). D’autres législations, notamment américaine, admettent que cela soit possible. Des parents qui souhaiteraient déshériter leurs enfants pourraient être tentés de s’expatrier dans ce seul but.
Qu’est-ce que la réserve héréditaire ?
La réserve est la part de son patrimoine dont on ne peut priver les héritiers réservataires que sont les descendants (enfants, petits-enfants…) et à défaut, le conjoint survivant.
En d’autres termes, la loi française interdit de déshériter ces héritiers à hauteur :
- pour les enfants,
– de la 1/2 de son patrimoine en présence d’un enfant,
– des 2/3 de son patrimoine en présence de deux enfants,
– des 3/4 de son patrimoine en présence de trois enfants ou plus.
- Pour le conjoint en l’absence d’enfant, du 1/4 de son patrimoine,
Cette disposition est d’ordre public en droit français, c’est-à-dire qu’on ne peut y déroger.
Toutefois de nombreuses législations étrangères ne (re)connaissent pas ce mécanisme.
Qu’est-ce que l’exception d’ordre public international ?
C’est un mécanisme qui permet, en cas de conflit de lois applicables à une situation, d’écarter une règle étrangère (loi, jurisprudence, acte) qui serait contraire à une règle nationale fondamentale.
Une loi étrangère qui ignore la réserve est-elle applicable en France ?
La Cour de cassation répond par l’affirmative.
Elle a, dans deux arrêts en date du 27 septembre 2017 (n°16-17.198 et 16-13.151), validé l’application d’une loi étrangère ne reconnaissant pas la réserve héréditaire à deux successions internationales, aboutissant à priver les héritiers réservataires français de tout droit dans ces successions.
Dans les deux espèces, des Français expatriés dans l’Etat de Californie avaient, par le biais d’un testament et d’un trust, légué l’intégralité de leurs patrimoines mobilier et immobilier à leurs épouses respectives.
Or, la loi applicable en matière de succession internationale étant celle de la dernière résidence habituelle du défunt, c’était la loi californienne qui avait vocation à s’appliquer. Cette loi ignorant la réserve, les enfants français étaient alors privés de tout droit dans les successions de leurs pères.
Mécontents, les héritiers ont invoqué l’exception d’ordre public international pour écarter l’application de la loi californienne qui ne respectait pas leur réserve d’ordre public en France (donc qui ne peut être écartée).
Or, la Cour de cassation a décidé que la loi étrangère n’était pas en soi contraire à l’ordre public international et qu’il convenait de faire une appréciation concrète au cas par cas.
En l’espèce, il ressortait de l’examen des juges du fond que les défunts s’étaient installés en Californie depuis de nombreuses années, qu’ils y détenaient la majorité de leur patrimoine, tant mobilier qu’immobilier, et que les héritiers français ″lésés″, tous majeurs au jour du décès, ne se trouvaient pas dans une situation de précarité économique ou de besoin.
Suffit-il de s’expatrier dans un Etat ne reconnaissant pas la réserve pour pouvoir ″déshériter″ ses enfants ?
Bien sûr que non.
D’ailleurs la Cour de Cassation précise : « Mais attendu qu’une loi étrangère désignée par la règle de conflit qui ignore la réserve héréditaire n’est pas en soi contraire à l’ordre public international français et ne peut être écartée que si son application concrète, au cas d’espèce, conduit à une situation incompatible avec les principes du droit français considérés comme essentiels. », la Cour de cassation apporte un tempérament certain à sa décision.
Cela veut dire qu’il convient d’examiner les conséquences concrètes de la non application de la réserve à une situation particulière, et notamment si cela n’aboutit pas à laisser les héritiers français dans le dénuement.
La Cour insiste bien sur l’ancienneté et la durabilité de l’installation des défunts dans l’Etat étranger, ce qui prouve qu’il n’y avait pas de volonté de contourner la législation française en matière de succession.
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